Michelle Ballion par Yves Michaud

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Les peintures de Michelle Ballion sont déroutantes.


De prime abord dans la lumière du jour, ce sont des peintures abstraites plutôt géométriques mais sans qu'il y ait un principe de production unique et contraignant.

Parfois les formes sont très géométriques, parfois moins, parfois il y a des cercles et des volutes, parfois des passages peints où se lit la trace du geste, parfois au contraire le traitement des formes est net et froid.

Voilà ce que l'on voit au jour.


Quand on plonge ces peintures dans l'obscurité, s'affiche sur le mur dans le noir tout autre chose : des formes vertes peintes préalablement aux compositions géométriques à l'aide pigments phosphorescents. Ce sont des sortes de dessins épurés. On y reconnaît soit des emprunts à des œuvres classiques qui ont marqué Michelle Ballion – Van Gogh, Bosch, Gericault – soit des images végétales ou marines – branches, méduses, formes végétales -.

L'idéal, dit Michelle Ballion serait qu'une installation lumineuse permette alternativement de faire le jour et la nuit. Elle a ainsi un plaisir non dissimulé à construire une sorte d'installation avec les moyens les plus classiques – des peintures sur toile sur des châssis.

Le lien entre les deux registres – celui du jour et celui de la nuit, si je puis dire – est soit dans le cas des « peintures hommages » dans la fidélité à la palette des tableaux dont un motif est retenu, soit, dans le cas des peintures à motif animal ou végétal, une analogie de forme et de couleur, une sorte de résonance entre art et nature.


Michelle Ballion nous fait vivre une expérience dédoublée. Ce n'est pas nouveau dans son travail puisqu'elle a présenté dès 1996 de petits tableaux en quelque sorte à double fond ou double surface : une image de surface fixée en avant sur le cadre laissait transparaître une autre image peinte, elle, dans le fond du tableau. C'est à ce propos que Michel Tournier avait parlé de « peinture phénoménale » faisant certainement allusion en philosophe qu'il était à la dualité kantienne du phénomène et du noumène. Je ne sais pas s'il faut aller aujourd'hui chercher une profondeur de cette sorte alors qu'il y a plutôt deux moments de peinture.

Je suis pour ma part plutôt frappé par la logique de la démarche qui, elle, ne nous est qu'en partie révélée.

Michelle Ballion part pour commencer de ce motif simple qui sera peint avec des pigments phosphorescents mais qui n'apparaîtra au spectateur qu'en second. Par une suite de stylisations qui sont en fait des complications abstraites, elle construit petit à petit la surface colorée que nous découvrirons en premier à la lumière du jour. Ce qu'elle appelle « passage de la lumière à l'obscurité » quand on suit sa proposition d'exposition est en réalité, dans la logique de la démarche, un passage de l'obscurité à la lumière, de la forme simple et identifiable à sa complication et à son abstraction.

Tout le monde connaît la démonstration de Mondrian montrant comment l'on passe de l'arbre concret à l'arbre abstrait et à la peinture abstraite. Ici on est un peu dans la même logique – à ceci près que l'arbre de départ est simple, une simple esquisse de lignes, et qu'il va engendrer une complication abstraite et colorée. J'ai plutôt pensé à propos de la démarche de Michelle Ballion à celle de Shirley Jaffe qui partait d'éléments visuels simples jetés sur le papier et petit à petit construisait des peintures abstraites colorées et complexes qui resserrait impitoyablement les données de départ.

Derrière les abstractions les plus lisibles, il y a toujours une complication insoupçonnée qui fait précisément l'intensité de ce que l'on voit.



Yves Michaud

Paris  2017